Jorge Amado a écrit le roman Cacao en 1933. Les similitudes entre ce qu’il décrit et la situation actuelle sont terrifiantes. Le vocabulaire, les idées, les obstacles et les injustices relèvent parfois de la paraphrase. La majorité des productions dans le monde résultent de l’exploitation d’un groupe d’individus par un autre, avec des conséquences désastreuses sur la dignité et la vie. Les taux de natalité et la différence d’espérance de vie de 18 ans entre pays pauvres et pays riches en sont la preuve.
PERSPECTIVES
“Nous savions que le lendemain nous continuerions à cueillir le cacao pour gagner 3 500 reis que l’économat nous prendrait. […] Nous ne pourrions pas tous arriver à être propriétaires. Sur mille, un pouvait devenir riche.”
Rachel, une fermière colombienne du Cauca, explique que malgré des années à faire des économies, elle ne peut toujours pas investir dans un bac de fermentation pour sa station de traitement post-récolte. Un tel outil est la clé pour obtenir de meilleurs revenus et un travail moins pénible. Le bac en plastique vaut deux années d’économies. Mais n’importe quel imprévu vient balayer les efforts. Et des imprévus, il y en a toujours. Lorsqu’ils sont payés, la plupart des caféiculteurs remboursent d’abord l’argent qui leur a été prêté. Modèle indispensable pour initier la production et la relancer d’une année à l’autre. L’argent qui reste sert à couvrir les besoins rudimentaires (se nourrir, se vêtir et se loger), sans fantaisies, et ce n’est pas toujours suffisant. L’éducation et la santé ne sont souvent pas couverts. Alors pour le bac de fermentation et une meilleure paie, on attendra.
Textile
En 2019 au Bangladesh, un travailleur obtient 8 000 takas par semaine, soit 21$ pour plus de 50 heures travaillées ! 0,02% de la population mondiale fournit 3% des vêtements que l’on porte. Pour à peu près rien.
LES OUTILS DE TRAVAIL
“Le boulot, c’est plutôt moche en ce moment. À moins que tu veuilles vraiment en baver.
-Où ça?
-Dans les cacaoyères. À la houe.”
En 2022, la houe est encore, avec la machette, l’un des seuls outils que les paysans des pays pauvres possèdent. Les prix tirés vers le bas ne permettent pas l’acquisition d’autres outils. L’électricité manque dans beaucoup d’endroits. Là où il y en a, les coupures sont récurrentes, parfois plusieurs heures par jour, de la tombée de la nuit à l’heure du coucher, c’est-à-dire quand ils en auraient eu besoin. L’eau ne coule pas indéfiniment du robinet, et il faut la faire bouillir avant de la consommer. L’énergie est obtenue par le bois qui a été coupé tôt le matin ou sur le chemin du retour du champ, parce qu’il n’y a pas de four à gaz ou de plaques à induction. En plus des efforts physiques du travail de la terre, l’entretien de la maison requiert une force de travail conséquente. Ceux qui travaillent à la maison sont privés de salaire ou d’école, selon l’âge.
Les paysans nourrissent le monde mais ont à peine de quoi manger.
L’agriculture emploie 40% de la population en âge de travailler.Dans les pays les plus pauvres, l’agriculture représente une part non négligeable de l’économie.

Immigration, travail saisonnier, travail des enfants.
“Faut pas y penser… Il est arrivé trois cents et plus d’émigrants de la sécheresse, qui prennent le boulot pour n’importe quelle paye… et nous on meurt de faim.
– On est vaincus avant de commencer la lutte.
– Nous, on vient au monde vaincus, conclt Valentin.
Nous baissâmes la tête. Et le lendeamin nous retournâmes au travail pour 500 reis de moins.”
En 2019 dans le Huila, en Colombie, de nombreux vénézuéliens et des gens d’autres pays d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale sont allés récolter du café, sont devenus coiffeurs, vendeurs, mécaniciens, nettoyeurs … Ils fuyaient un pays sous tension politique, climatique, dans un contexte économique dévasté. Certains viennent seuls et d’autres viennent avec leur famille, même si tous n’auront pas de travail.
L’ICI (International Cocoa Initiatives) œuvre pour protéger les droits des enfants, puisque la moitié d’entre eux, nés dans des zones où l’ont cultivent le cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux principaux producteurs mondiaux, sont soumis au travail. L’enjeu est de combiner les efforts de tous ceux qui participent au commerce du cacao puis du chocolat : les États, les entreprises, et les gens -consommateurs & producteurs.
Bien que les acteurs majeurs soient partenaires de cette organisation, le travail des enfants persiste.
Les noisettes
L’exemple des noisettes montre que l’éthique réside dans tout ce que nous achetons. Les travailleurs migrent pour un travail qui leur rapporte environ 32$ par mois, qu’ils soient natifs de Turquie ou d’ailleurs. Ce salaire fait vivre des familles entières. L’une des multinationales ayant un chiffre d’affaires les plus important au monde, utilise des noisettes dans sa production de pâte à tartiner. Sur son site internet, elle raconte une belle histoire à propos du soin apporté à la qualité des noisettes, à travers une vidéo bien travaillée, en 4 ou 8K.
Les enfants suivent les parents au champ parce qu’un seul revenu ne permet à personne de vivre. Même s’il y avait une école ouverte en ces lieux et que les enfants pouvaient y aller, l’argent manquerait pour acheter des vêtements et des fournitures scolaires. La malnutrition a été pointée comme l’une des causes majeures de l’échec scolaire.
Ce sont les actions réfléchies et adaptées qui peuvent résoudre ce drame. À Ordu, le programme était taillé pour les jeunes, avec l’objectif qu’ils poursuivent leur cursus universitaire. Chaque année, les efforts étaient concentrés sur les enfants d’une tranche d’âge définie. Ce sont les instituteurs locaux qui ce sont démenés à rendre la vie des enfants pas si misérable. La réception du programme par les jeunes concernés à montrer qu’ils étaient surmotivés. Là où des solutions durables qui tiennent en compte le contexte d’application ne seront pas mises en place, la pauvreté perdurera. Autrement dit, greenwasher, c’est dire qu’on va ‘planter tant d’arbres’, ‘construire une école et des terrains de sport’, en voulant avant tout dorer sa propre image et générer des ventes, et ne pas le faire pour les populations concernées. Sans connaître les habitants concernés, on peut vouloir faire le bien … mais ce qui est bien pour la société occidentale ne l’est pas forcément pour d’autres régions du monde.
L’image de constructions abandonnées 5 années après leur construction, dans l’Amazonie péruvienne ou au Cameroun, est restée dans ma mémoire. Pour éviter cela, les besoins doivent être exprimés et étudiés par ceux qui vont en bénéficier, pas seulement par ceux qui financent le projet.
Perversité des prix du café
“ Du fric, y en a eu, y a de ça deux ans. Le cacao est monté à 40 milreis. Les colonels les lâchaient, c’est vrai. On gagnait 5 milreis par jour.
– Vous mettiez des ronds de côté ?
– J’t’en fous… Tout a augmenté : la viande sèche, le manioc, les fayots. Personne s’en tirait mieux Pour toi, c’est pareil, que le cacao baisse ou qu’il monte.”
Un paysan camerounais indique qu’un sac de 100 kilogrammes de café lui était acheté environ 75 000 FCFA en 1975. On lui en donne 65 000 aujourd’hui. Les bananes, les jus, le sucre, il les achète 3 fois plus cher qu’il y a 50 ans. La Déclaration des participants au second forum mondial des producteurs de café qui a eu lieu au Brésil en 2019 donne l’exemple d’une voiture de la marque JEEP, utilisée par certains transporteurs pour acheminer les sacs de café. Le prix du véhicule a triplé entre 1982 et 2018. Pas celui du café.

Pommes de terre
C’est exactement ce que les producteurs de pommes de terre péruviens ont déploré dans les manifestations du début de l’année 2018. C’est pourtant un produit mondialement consommé, originaire du Pérou. Mais les Péruviens ne peuvent pas en vivre.
Agriculture
Dans le monde entier, les fermiers se mobilisent et s’organisent pour obtenir de meilleures rémunérations. La répression est souvent la réponse proposée par les gouvernements. Des manifestations en Inde, en 2020 et 2021, ont entraîné la mort de 150 personnes. Ils protestaient contre des lois sur les prix qui génèrent instabilité et insécurité.
Implication des États
“On vivait pour ainsi dire en dehors du monde et notre misère n’intéressait personne.
On vivait pour vivre.”
Comme Yaya, jeune agriculteur camerounais, expliquait en Mai 2021, les paysans se sentent délaissés par l’État, qui a cessé de fournir l’assistance technique, par les entreprises, qui achètent à des prix dérisoires, ainsi que par les investisseurs, qui n’ont pas renouvelé les partenariats existants. Yaya indique qu’aucun européen n’est venu sur ses terres depuis 40 ans, alors qu’ils étaient nombreux à s’enrichir ici au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Vin
Le terroir, les opérations post-récolte, l’assemblage, la dégustation sont quelques-uns des nombreux concepts similaires au vin et au café. Une différence majeure subsiste : les pays producteurs de café aident très peu leurs paysans. Parfois, ils fournissent des produits chimiques et une assistance technique, mais cela reste très limité et orienté vers l’objectif de gonfler la balance extérieure, pas d’améliorer les conditions de vie des fermiers.
À l’inverse, dans un pays comme la France, les subventions à l’agriculture et au vin sont vitales pour de nombreux agriculteurs. L’exemple du soutien aux jeunes agriculteurs qui s’installent illustre bien que le travail dans les montagnes est laborieux. Le montant de l’aide en capital octroyée par la Dotation Jeune Agriculteur dépend de la topographie du lieu : elle est moyenne de 12 500 € si l’installation se fait en plaine, 16 000 € en milieu défavorisé et 26 000€ en montagne.*
Les producteurs de café travaillent dans les montagnes, parce que c’est avec du relief que la plante s’épanouit. Cependant, ils ne bénéficient ni de subventions, ni de taux d’intérêt avantageux, ni d’aide pour développer le tourisme ou d’aide à l’export. Ceci combiné avec une difficulté majeure d’accès au marché, à l’information, aux technologies et même aux coopératives et aux microcrédits qui pourraient faire office de tremplin.
Chaque achat est un choix, et des solutions existent pour basculer dans une économie gagnant-gagnant, c’est pourquoi chacun peut contribuer à l’effort pour atteindre un commerce mondial où chacun vit de son travail.
Nous devons entrer dans un système économique gagnant-gagnant. Ce n’est pas utopique. Chaque achat est un choix. Nous achetons tous des choses chaque semaine, donc chacun peut être une pièce du moteur qui fait progresser les entreprises éthiques.
Changez d’abord avant d’attendre que les lois et le marketing décident.
Bibliographie et sites web consultés :
Cacao, Jorge Amado, 1933. Traduction par Jean Orecchioni.
Whewell, B. T. (2019, 18 septembre). Is Nutella made with nuts picked by children ? BBC News. https://www.bbc.com/news/stories-49741675
https://www.nytimes.com/2019/04/29/business/syrian-refugees-turkey-hazelnut-farms.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/14/au-bangladesh-des-milliers-d-ouvriers-du-textile-en-greve-pour-reclamer-de-meilleurs-salaires_5408710_3210.html
https://www.cavb.fr/wp-content/uploads/2014/10/Répertoire-des-aides-à-la-viticulture-2.pdf
https://peru21.pe/peru/paro-agrario-puntos-entender-conflicto-productores-papa-394310-noticia/
https://www.unicef.org/protection/child-labour
https://cocoabarometer.org